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Addictions et dépendances.

Photo du rédacteur: David FrauDavid Frau

Le terme addiction couvre aujourd'hui un large champ de problématiques rencontrées par les personnes qui viennent en consultation.

Alcool, drogues, tabac, substances, accoutumances aux médicaments, addictions dites objectales (à un objet réel ou fantasmé, une personne ou une partie d'elle), sexualités dites addictives, troubles comportementaux répétitifs (les comportements boulimiques d'achats ou alimentaires, le travail, le goût du risque, la passion des jeux… ).

C'est Joyce McDougall (1982) qui a largement contribué à introduire le terme d'addiction en France, pour mieux rendre compte (que le terme restrictif de "toxicomanie" employé jusqu'alors) du sens dynamique et fantasmatique de la recherche par le sujet, ainsi que de la dimension économique et compulsive de l'acte d'addiction.



La notion, qui a fourni de nombreux travaux et recherches, regroupe certains traits de comportements et de dépendances que l'on retrouve, quelle que soit l'addiction : perte de contrôle, préoccupation pour obtenir la substance ou l'objet, persistance de l'addiction malgré les conséquences néfastes.


Certains auteurs (comme Sneider, Oxford, Cordier…) mettent en avant les comportements utilisés pour obtenir du plaisir et/ou échapper à un conflit intérieur (qu'ils utilisent ou non une substance exogène) : la compulsion, le maintien du comportement malgré sa nocivité, des préoccupations obsessionnelles concernant le comportement.

Répétition d’actes susceptibles de provoquer du plaisir mais marqués par la dépendance à un objet matériel ou à une situation, recherchés et consommés avec « avidité » : acte, répétition, avidité, dépendance.


D'après les approches (indirectes) de Freud (qui va comparer le modèle des névroses actuelles à celui de la contrainte addictive), l'addiction aurait pour cause un blocage des affects libidinaux, conséquence d'une insatisfaction psychosexuelle.

L'appareil psychique semble dépendre de l'aspect qualitatif de l'excitation et est incapable d'y faire face autrement que par un comportement répétitif, ou sur un mode somatique.

En l'absence de régulation par le psychique, la tension physique devient "toxique" et sa décharge, contraignante et compulsive.

Autrement dit, dans un principe plaisir/déplaisir, l'addiction s'avère être un moyen de réguler son angoisse.

On retrouve la compulsion à la décharge massive et répétée, car insatisfaisante.

On devine l'aspect frénétique, la précipitation du passage à l'acte et la recherche de la satisfaction dans l'intensité et l'atemporalité, au plus près des processus primaires inconscients (et éloignés des processus secondaires qui introduisent la réalité et l'histoire du sujet).

Freud envisage l'addiction comme une contrainte endogène, voire une "toxicologie endogène". L'hypothèse selon laquelle le cerveau produit un effet "plaisir" pharmacologique, sous l'influence de comportements spécifiques sera reprise par Otto Fénichel (1945).


A l'origine des addictions, un besoin compulsif, contraignant et aliénant - rabattement de l'objet du désir sur l'objet du besoin.

L'état de dépendance absolue (du nourrisson) induit, selon Freud, un état de détresse absolue.

La satisfaction du besoin nécessite l'intervention d'un tiers extérieur, qui sera associé à l'image de l'objet qui a apporté la satisfaction et à l'image motrice du mouvement réflexe qui a permis la décharge.

Dès le retour de la tension psychique, la charge convoque ces deux souvenirs et provoque une hallucination de la satisfaction.

Hallucination néanmoins insuffisante pour satisfaire le besoin…


En 1925, Freud écrivait (La négation) que la pensée possédait la capacité de rendre à nouveau présent ce qui avait été perçu et représenté, sans que l'objet ait encore besoin d'être présent.

L'épreuve de réalité est de retrouver dans la perception du réel, l'objet du représenté et de se convaincre qu'il est encore présent. On reconnait alors, pour la mise en place de l'épreuve de la réalité, que les objets qui autrefois avaient apporté satisfaction réelle, ont bien été perdus.


Dans le cadre de l'addiction, le rôle protecteur (pare-excitant) de l'objet primaire (la mère), la nécessité de réguler la décharge de l'excitation, le travail de pensée et de représentation, pour accepter l'absence de l'objet comme objet perdu, comme objet du manque, apparaissent comme dysfonctionnants.

Il y aurait comme une tentative de reprendre le chemin, mais par un raccourci, avec un abattement de l'objet du désir vers l'objet du besoin et confusion de la demande.

Le surinvestissement de la satisfaction pourrait aboutir à des comportements automatisés.


Il semblerait que les carences ou les excès de la fonction de holding et de soins maternels soient à l'origine d'une "distorsion du développement affectif primaire de l'infans" (Winnicott), créant une difficile, voire impossible, individuation/séparation (Malher), qui serait le fondement d'un état à combler par une dépendance plus grande à l'objet primaire, créant de nouveaux besoins, prémices de la dépendance addictive.

Ces véritables traumatismes précoces, peu élaborables psychiquement, rendraient impossible l'internalisation de l'objet primaire.

Selon certains auteurs, l'objet d'addiction, substitut de l'objet du besoin, ne permet pas de retrouver dans le réel, l'objet du désir (objet sexuel primaire) qui n'a pas pu être identifié comme objet perdu et qui ne peut donc être ni représenté, ni retrouvé.

Faute d'internalisation, l'objet primaire et ultérieurement ses substituts, seront toujours à chercher à l'extérieur.

Faute d'accompagnement maternel primaire adéquat (l'objet externe mal trouvé et par là même mal perdu, les objets internes mal créés), l'investissement de l'objet interne "mal formé" aura du mal à être inhibé et se fera au détriment de l'investissement narcissique secondaire.

Cette approche confronte l'addiction à la lacune, au manque, à la perte, au vide à combler… Véritable besoin immodéré (alimentaire, alcoolique, comportemental, toxicomaniaque…).

Le sentiment d'être est interrompu.

La tentative d'y faire face passe par la quête répétitive et compulsive d'une satisfaction qui n'a qu'un effet provisoire et qui, finalement, rebouclera avec l'insatisfaction.

Le comportement addictif est une tentative (sans fin) d'auto-traitement.


L'addiction comme "acte-symptome".

McDougall définit cette notion d'acte-symptome comme "l'artillerie défensive de tout individu" mais qui est prédominant dans le comportement addictif.

Il s'agit d'une traduction en acte immédiat d'impulsions, de fantasmes, de désirs, dans le but d'éviter de faire émerger des idées et des émotions conflictuelles ou pénibles.

Il s'agit d'une forme de protection, "un court-circuitage du psychisme, un défaut de défense mentale, une technique de survie".

Après avoir considéré l'objet d'addiction comme substitut de la mère interne, McDougall va plus loin et évoque une mauvaise construction de l'espace et de l'objet transitionnel (Winnicott, Objets transitionnels et phénomènes transitionnels in Jeu et réalité).

L'objet transitionnel auquel l'enfant va s'attacher appartient à un processus de symbolisation (de l'objet qui rassure en l'absence de la mère jusqu'à une série de phénomènes transitionnels, de comportements, qui se trouvent entre la réalité psychique et la réalité extérieure).

Si l'objet transitionnel est une création de l'enfant, une activité dotée (fantasmatiquement) de qualités magiques de la présence maternelle en voie d'introjection puis d'identification, les objets d'addiction seraient transitoires, toujours à recréer car toujours à l'extérieur.

Lorsque l'espace et l'objet transitionnels sont entravés par l'entourage et/ou les problèmes inconscients des parents, l'enfant peut avoir recours au clivage en vue de créer un "potentiel addictif" avec accrochage à un objet transitoire (une drogue, un comportement alimentaire ou encore une personne utilisée comme une drogue…).

L'objet transitoire est destiné à rendre au sujet le sentiment d'être réel, en vie, valable.

Il sert à colmater les "trous" dans le "Je", trous de sens, trous dans son identité, trous dans sa façon de penser le monde.


Dans les troubles répétitifs et contraints des différents comportements dans le rapport à l'autre, les autres sont utilisés comme une drogue, comme une substance apaisante, comme des contenants, pour ce qui leur semble trop difficile à assumer.

C'est une façon de régler des comptes avec des objets mal internalisés, une lutte dont est absente toute trace d'identification à une mère protectrice internalisée.


Selon Sandor Ferenczi, les addictions ont un rôle dans la répétition des traumatismes. La consommation d'une substance peut servir à se protéger de l'autre quand celui-ci est ressenti comme un excès.

Manger, boire, fumer, absorber des substances ou encore jeûner… Sont des procédés auto-calmants qui peuvent apporter, momentanément, un apaisement de la souffrance psychique.


Pour Jean Bergeret, comme chez de nombreux clinicien, il n'existe aucune structure profonde spécifique de l'addiction. L'addiction intervient comme une tentative de défense et de régulation contre les déficiences ou les failles de sa structure profonde.



Il est impossible de dire, de manière générale, comment se tisse la dépendance à une substance, à un comportement ou à une personne.

Seule l'analyse permet d'identifier et d'élaborer le "manque", dans la trajectoire singulière du sujet. On identifie le trajet répétitif de la pulsion et le besoin de se "remplir" pour combler un vécu de vide permanent.

Pourtant, rien ne lui suffit, rien ne l'apaise… Tout au plus, il s'endort temporairement. Et lorsque il se réveille, il en demande encore plus.

L'addiction permet d'anesthésier dans l'immédiat, mais finalement, ne fait que rappeler ce qui manque d'essentiel.

C'est l'une des raisons qui rend difficile le travail sur l'addiction.


La société contemporaine contribue à générer les comportements addictifs.

Des exigences d'efficacité, de rendement, un temps qui semble accéléré, des relations parfois déshumanisées. Il est attendu de l'individu des capacités d'adaptations accrues.

Pour être valorisé, il doit être au maximum de ce qu'il peut donner, produire, occuper, faire…

La "drogue" va agir comme un excitant, augmentant ainsi les capacités du sujet, mais dans l'ombre, elle va attaquer la confiance et installer la croyance qu'il n'est plus possible de s'en sortir sans. L'engrenage a débuté.

L'addiction est (souvent) une transgression de la loi. Et bien qu'elle apparaisse comme permissive, la société est en profondeur, de plus en plus normative, légaliste, sécuritaire et contrôlante.

L'addiction apparait comme une façon destructrice de partir à la recherche de la liberté, une façon de résister, de contester. Mais, cette contestation de la loi ne trouve pas de réponse qui libèrerait son manque dans l'espace que l'individu s'est donné.


L'individu a structuré sa personnalité autour de son addiction, qui constitue à la fois sa force de vie en même temps qu'elle est ce qui peut le détruire.

L'addiction ne se soigne pas en exerçant un système de limitation, de contrôle, de restriction, voire de substitution.

Ces voies de contournement ou de déplacement restent des alternatives intéressantes (la voie du "moins pire"), mais il faut accompagner la décélération qui l'accompagne, le calme (parfois insipide) qui lui succède.

Un rendez-vous avec sa capacité de solitude… Sans flirter avec le sentiment d'impuissance et sans être envahi par le vide, par des peurs ou des angoisses.


On constate, dans la clinique, une relative adaptation du sujet qui, cependant, masque une profonde détresse (archaïque). Le sentiment "d'être" est fluctuant : l'existence, la survie et l'identité, ne sont pas assurés.

L'addiction constitue une véritable stratégie de survie psychique. Il convient de cheminer vers une "guérison" de l'addiction et non vers une suppression… Un accompagnement jusqu'à ce que le patient trouve la capacité de s'aider et de se soutenir, l'assurance de le faire sans la nécessité de recours à des comportements addictifs.




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